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полная версияLe Collier de la Reine, Tome I

Александр Дюма
Le Collier de la Reine, Tome I

Celui-ci ne répliqua rien.

– On sait que vous êtes sortie? demanda-t-il.

– Hélas! je l'ignore, dit la reine.

– Peut-être aussi n'est-ce que contre moi, ma sœur, que le roi a dirigé cette consigne. Le roi sait que je sors la nuit, que je rentre quelquefois tard. Mme la comtesse d'Artois aura su quelque chose, elle se sera plainte à Sa Majesté: de là cet ordre tyrannique!

– Oh! non, non, mon frère; je vous remercie de tout mon cœur de la délicatesse que vous mettez à me rassurer. Mais c'est bien pour moi, ou plutôt contre moi, que la mesure est prise, allez!

– Impossible, ma sœur, le roi a trop d'estime…

– En attendant, je suis à la porte, et demain un scandale affreux résultera d'une chose bien innocente. Oh! j'ai un ennemi près du roi; je le sais bien.

– Vous avez un ennemi près du roi, petite sœur; c'est possible. Eh bien, moi, j'ai une idée.

– Une idée? Voyons vite.

– Une idée qui va rendre votre ennemi plus sot qu'un âne pendu à son licou.

– Oh! pourvu que vous nous sauviez du ridicule de cette position, voilà tout ce que je vous demande.

– Si je vous sauverai! je l'espère bien. Oh! je ne suis pas plus niais que lui, quoiqu'il soit plus savant que moi!

– Qui, lui?

– Eh! pardieu! M. le comte de Provence.

– Ah! vous reconnaissez donc comme moi qu'il est mon ennemi?

– Eh! n'est-il pas l'ennemi de tout ce qui est jeune, de tout ce qui est beau, de tout ce qui peut… ce qu'il ne peut pas, lui!

– Mon frère, vous savez quelque chose sur cette consigne?

– Peut-être; mais d'abord ne restons pas sous cette porte, il y fait un froid de loup. Venez avec moi, chère sœur.

– Où cela?

– Vous verrez; quelque part où il fera chaud, au moins; venez et en route je vous dirai ce que je pense à propos de cette fermeture de porte. Ah! monsieur de Provence, mon cher et indigne frère! Donnez-moi le bras, ma sœur; prenez mon autre bras, mademoiselle de Taverney, et tournons à droite.

On se mit en marche.

– Et vous disiez donc que M. de Provence?.. fit la reine.

– Eh bien! voilà. Ce soir, après le souper du roi, il vint au grand cabinet; le roi avait beaucoup causé dans la journée avec le comte de Haga, et l'on ne vous avait pas vue.

– À deux heures, je suis partie pour Paris.

– Je le savais bien; le roi, permettez-moi de vous le dire, chère sœur, le roi ne songeait pas plus à vous qu'à Aroun-al-Raschild et à son grand vizir Giaffar; il causait géographie, je l'écoutais, assez impatient, car j'avais aussi à sortir, moi. Ah! pardon, nous ne sortions probablement pas pour la même cause, de sorte que j'ai tort…

– Allez, allez toujours, dites…

– Tournons à gauche.

– Mais où me menez-vous?

– À vingt pas. Prenez garde, il y a un tas de neige. Ah! mademoiselle de Taverney, si vous quittez mon bras, vous allez tomber, je vous en préviens. Bref, pour en revenir au roi, il ne songeait qu'à la latitude et à la longitude, lorsque M. de Provence lui dit: «Je voudrais bien cependant présenter mes hommages à la reine.»

– Ah! ah! fit Marie-Antoinette.

– La reine soupe chez elle, répondit le roi.

– Tiens, je la croyais à Paris, ajouta mon frère.

– Non, elle est chez elle, dit tranquillement le roi.

– J'en sors, et l'on ne m'a point reçu, riposta M. de Provence.

Alors je vis le sourcil du roi se froncer. Il nous congédia, mon frère et moi, et sans doute, nous partis, il s'informa. Louis est jaloux par boutades, vous le savez; il aura voulu vous voir, on lui aura refusé l'entrée, et il se sera douté de quelque chose.

– Précisément, Mme de Misery en avait l'ordre.

– C'est cela; et pour s'assurer de votre absence, le roi aura donné cette sévère consigne qui nous met dehors.

– Oh! ceci, c'est un trait affreux, avouez-le, comte.

– Je l'avoue; mais nous voici arrivés.

– Cette maison…?

– Vous déplaît-elle, ma sœur?

– Oh! je ne dis pas cela; elle me charme, au contraire. Mais vos gens?

– Eh bien!

– S'ils me voient.

– Ma sœur, entrez toujours, et je vous garantis que personne ne vous verra.

– Pas même celui qui m'ouvrira la porte? demanda la reine.

– Pas même celui-là.

– Impossible.

– Nous allons essayer, dit le comte d'Artois en riant.

Et il approcha sa main de la porte.

La reine lui arrêta le bras.

– Je vous en supplie, mon frère, prenez garde.

Le prince appuya son autre main sur un panneau sculpté avec élégance.

La porte s'ouvrit.

La reine ne put réprimer un mouvement de crainte.

– Entrez donc, ma sœur, je vous en conjure, dit le prince; vous voyez bien que jusqu'à présent il n'y a personne.

La reine regarda Mlle de Taverney, puis, comme une personne qui se risque, elle franchit le seuil avec un de ces gestes si charmants chez les femmes, et qui veulent dire: «À la grâce de Dieu!»

La porte se referma sans bruit derrière elle.

Alors elle se trouva dans un vestibule de stuc avec des soubassements de marbre, vestibule d'une médiocre étendue, mais d'un goût parfait; les dalles étaient une mosaïque figurant des bouquets de fleurs, tandis que sur des consoles en marbre cent rosiers bas et touffus faisaient pleuvoir leurs feuilles parfumées, si rares à cette époque de l'année, hors de leurs vases du Japon.

Une douce chaleur, une senteur, plus douce encore, captivaient si bien les sens, qu'à leur arrivée dans le vestibule les deux dames oublièrent non seulement une partie de leurs craintes mais encore une partie de leurs scrupules.

– Maintenant, c'est bien, nous sommes à l'abri, dit la reine, et même, s'il faut l'avouer, l'abri est assez commode. Mais ne serait-il pas bon de vous occuper d'une chose, mon frère?

– De laquelle?

– D'éloigner de vous vos serviteurs.

– Oh! rien de plus facile.

Et le prince, saisissant une sonnette placée dans la cannelure d'une colonne, fit résonner un timbre qui, après avoir frappé un seul coup, vibra mystérieusement dans les profondeurs de l'escalier.

Les deux femmes poussèrent un petit cri d'épouvante.

– Est-ce ainsi que vous éloignez vos gens, mon frère? demanda la reine; j'eusse cru, au contraire, que c'était ainsi que vous les appeliez.

– Si je sonnais une seconde fois, oui, quelqu'un viendrait; mais comme je n'ai donné qu'un seul coup de sonnette, soyez tranquille, ma sœur, personne ne viendra.

La reine se mit à rire.

– Allons, vous êtes un homme de précaution, dit-elle.

– Maintenant, chère sœur, continua le prince, vous ne pouvez habiter un vestibule; prenez la peine de monter un étage.

– Obéissons, dit la reine; le génie de la maison ne me paraît pas trop malveillant.

Et elle monta.

Le prince la précédait.

On n'entendit les pas d'aucun d'eux sur les tapis d'Aubusson qui garnissaient les marches de l'escalier.

Arrivé le premier, le prince agita une seconde sonnette, dont le bruit fit de nouveau tressaillir la reine et Mlle de Taverney, qui n'étaient pas prévenues.

Mais leur étonnement redoubla lorsqu'elles virent les portes de cet étage s'ouvrir seules.

– En vérité, Andrée, dit la reine, je commence à trembler; et vous?

– Moi, madame, tant que Votre Majesté marchera en avant, je la suivrai avec confiance.

– Rien, ma sœur, n'est plus simple que ce qui se passe, dit le jeune prince: la porte qui vous fait face est celle de votre appartement. Voyez!

Et il indiquait à la reine un charmant réduit dont nous ne saurions omettre la description.

Une petite antichambre en bois de rose, avec deux étagères de Boule, plafond de Boucher, parquet de bois de rose, donnait dans un boudoir de cachemire blanc semé de fleurs brodées à la main par les plus habiles artistes en broderie.

L'ameublement de ce boudoir était une tapisserie au petit point de soie, nuancé avec cet art qui faisait d'un tapis des Gobelins de cette époque un tableau de maître.

Après le boudoir, une belle chambre à coucher bleue tendue de rideaux de dentelle et de soie de Tours, un lit somptueux dans une alcôve obscure, un feu éblouissant dans une cheminée de marbre blanc, douze bougies parfumées brûlant dans des candélabres de Clodion, un paravent de laque azurée avec ses chinoiseries d'or, telles étaient les merveilles qui apparurent aux yeux des dames lorsqu'elles entrèrent timidement dans cet élégant réduit.

Nul être vivant ne se montrait: partout la chaleur, la lumière, sans qu'on pût en quelque point deviner les causes de tant d'heureux effets.

La reine, qui avait pénétré avec réserve déjà dans le boudoir, demeura un instant au seuil de la chambre à coucher.

Le prince s'excusa d'une façon toute civile sur la nécessité qui le poussait à mettre sa sœur dans une confidence indigne d'elle.

La reine répondit par un demi-sourire qui exprimait beaucoup plus de choses que toutes les paroles qu'elle aurait pu prononcer.

– Ma sœur, ajouta alors le comte d'Artois, cet appartement est mon logis de garçon, seul j'y pénètre, et j'y pénètre toujours seul.

– Presque toujours, dit la reine.

– Non, toujours.

– Ah! fit la reine.

– Au surplus, continua-t-il, il y a dans le boudoir où vous êtes un sofa et une bergère sur lesquels bien des fois, quand la nuit me surprenait, après la chasse, j'ai dormi aussi bien que dans mon lit.

– Je comprends, dit la reine, que Mme la comtesse d'Artois soit parfois inquiète.

– Sans doute, mais avouez, ma sœur, que si Mme la comtesse est inquiète de moi, cette nuit elle aura bien tort.

– Cette nuit, je ne dis pas, mais les autres nuits…

– Ma sœur, quiconque a tort une fois peut avoir tort toujours.

– Abrégeons, dit la reine en s'asseyant sur un fauteuil. Je suis horriblement lasse; et vous, ma pauvre Andrée?

 

– Oh, moi, je succombe de fatigue, et si Votre Majesté le permet…

– En effet, vous pâlissez, mademoiselle, dit le comte d'Artois.

– Faites, faites, ma chère, dit la reine; asseyez-vous, couchez-vous même; M. le comte d'Artois nous abandonne cet appartement, n'est-ce pas, Charles?

– En toute propriété, madame.

– Un instant, comte, un dernier mot.

– Lequel?

– Si vous partez, comment vous rappellerons-nous?

– Vous n'avez en rien besoin de moi, ma sœur; une fois installée, disposez de la maison.

– Il y a donc d'autres pièces que celles-ci?

– Mais sans doute. Il y a d'abord une salle à manger, que je vous engage à visiter.

– Avec une table toute servie, sans doute?

– Certainement, et sur laquelle Mlle de Taverney, qui me paraît en avoir grand besoin, trouvera un consommé, une aile de volaille et un doigt de vin de Xérès, et où vous trouverez, vous, ma sœur, une collection de ces fruits cuits que vous aimez.

– Et tout cela sans valets?

– Pas le moindre.

– Nous verrons. Mais ensuite?

– Ensuite?

– Oui, pour retourner au château?

– Il ne faut pas songer à y rentrer du tout de la nuit, puisque la consigne est donnée. Mais la consigne donnée pour la nuit tombe avec le jour; à six heures les portes s'ouvrent, sortez d'ici à six heures moins un quart. Vous trouverez dans les armoires des mantes de toutes couleurs et de toutes formes, si vous désirez vous déguiser; entrez donc, comme je vous le dis, au château, gagnez votre chambre, couchez-vous, et ne vous inquiétez pas du reste.

– Mais vous?

– Comment, moi?

– Oui, qu'allez-vous faire?

– Je sors de la maison.

– Comment! nous vous chassons, mon pauvre frère?

– Il ne serait pas convenable que j'eusse passé la nuit sous le même toit que vous, ma sœur.

– Mais encore il vous faut un gîte, et nous vous volons le vôtre.

– Bon! il m'en reste trois pareils à celui-ci.

La reine se mit à rire.

– Et il dit que Mme la comtesse d'Artois a tort de s'inquiéter; oh! je la préviendrai, fit-elle avec un charmant geste de menace.

– Alors, moi, je dirai tout au roi, répliqua le prince sur le même ton.

– Il a raison, nous sommes sous sa dépendance.

– Tout à fait. C'est humiliant; mais qu'y faire?

– Se soumettre. Ainsi, vous dites donc que pour sortir demain matin sans rencontrer personne…

– Un seul coup de sonnette, à la colonne en bas.

– À laquelle? à celle de droite ou à celle de gauche?

– Peu importe.

– La porte s'ouvrira?

– Et se fermera.

– Toute seule?

– Toute seule.

– Merci. Bonsoir, mon frère.

– Bonsoir, ma sœur.

Le prince salua, Andrée ferma les portes derrière lui. Il disparut.

Chapitre VII
L'alcôve de la reine

Le lendemain, ou plutôt le matin même, car notre dernier chapitre a dû se fermer vers les deux heures de la nuit; le matin même, disons-nous, le roi Louis XVI, en petit habit violet du matin, sans ordre et sans poudre, et tel qu'il venait de sortir de son lit enfin, heurta aux portes de l'antichambre de la reine.

Une femme de service entrebâilla cette porte, et reconnaissant le roi:

– Sire!.. dit-elle.

– La reine! demanda Louis XVI d'un ton bref.

– Sa Majesté dort, sire.

Le roi fit un geste comme pour éloigner la femme, mais celle-ci ne bougea point.

– Eh bien! dit le roi, vous bougerez-vous? Vous voyez bien que je veux passer.

Le roi avait par moments une promptitude de mouvement que ses ennemis appelaient de la brutalité.

– La reine repose, sire, objecta timidement la femme de service.

– Je vous ai dit de me livrer passage, répliqua le roi.

En effet, à ces mots il écarta la femme et passa outre.

Arrivé à la porte même de la chambre à coucher, le roi vit Mme de Misery, première femme de chambre de la reine, qui lisait la messe dans son livre d'heures.

Cette dame se leva dès qu'elle aperçut le roi.

– Sire, dit-elle à voix basse et avec un profond salut, Sa Majesté n'a pas encore appelé.

– Ah! vraiment, fit le roi d'un air railleur.

– Mais, sire, il n'est guère que six heures et demie, je crois, et jamais Sa Majesté ne sonne avant sept heures.

– Et vous êtes sûre que la reine est dans son lit? Vous êtes sûre qu'elle dort?

– Je n'affirmerais pas, sire, que Sa Majesté dort; mais je suis sûre qu'elle est dans son lit.

– Elle y est?

– Oui, sire.

Le roi n'y put tenir plus longtemps. Il marcha droit à la porte, tourna le bouton doré avec une précipitation bruyante, et entra.

La chambre de la reine était obscure comme en pleine nuit: volets, rideaux et stores, hermétiquement fermés, y maintenaient les plus épaisses ténèbres.

Une veilleuse, brûlant sur un guéridon dans l'angle le plus éloigné de l'appartement, laissait l'alcôve de la reine entièrement baignée dans l'ombre, et les immenses rideaux de soie blanche à fleurs de lis d'or pendaient à plis ondoyants sur le lit en désordre.

Le roi marcha d'un pas rapide vers le lit.

– Oh! madame de Misery, s'écria la reine, que vous êtes bruyante, voilà que vous m'avez réveillée.

Le roi s'arrêta, stupéfait.

– Ce n'est point Mme de Misery, murmura-t-il.

– Tiens! c'est vous, sire, ajouta Marie-Antoinette en se soulevant.

– Bonjour, madame, articula le roi d'un ton aigre-doux.

– Quel bon vent vous amène, sire? demanda la reine. Madame de Misery! madame de Misery! ouvrez donc les fenêtres.

Les femmes entrèrent et, selon l'habitude que leur avait fait prendre la reine, elles ouvrirent à l'instant portes et fenêtres, pour donner passage à l'invasion d'air pur que Marie-Antoinette respirait avec délices en s'éveillant.

– Vous dormez de bon appétit, madame, dit le roi en s'asseyant près du lit, après avoir promené son regard investigateur.

– Oui, sire, j'ai lu tard, et par conséquent, si Votre Majesté ne m'eût point réveillée, je dormirais encore.

– D'où vient qu'hier vous n'avez pas reçu, madame?

– Reçu qui? votre frère, M. de Provence? fit la reine avec une présence d'esprit qui allait au-devant des soupçons du roi.

– Justement oui, mon frère; il a voulu vous saluer, et on l'a laissé dehors.

– Eh bien?

– En lui disant que vous étiez absente?

– Lui a-t-on dit cela? demanda négligemment la reine. Madame de Misery! Madame de Misery?

La première femme de chambre parut à la porte, tenant sur un plateau d'or une quantité de lettres adressées à la reine.

– Sa Majesté m'appelle? demanda Mme de Misery.

– Oui. Est-ce qu'on a dit hier à M. de Provence que j'étais absente du château?

Mme de Misery, pour ne pas passer devant le roi, tourna autour de lui et tendit le plateau de lettres à la reine. Elle tenait sous son doigt une de ces lettres dont la reine reconnut l'écriture.

– Répondez au roi madame de Misery, continua Marie-Antoinette avec la même négligence; dites à Sa Majesté ce que l'on a répondu hier à M. de Provence lorsqu'il s'est présenté à ma porte. Quant à moi, je ne me le rappelle plus.

– Sire dit Mme de Misery, tandis que la reine décachetait la lettre, Mgr le comte de Provence s'est présenté hier pour offrir ses respects à Sa Majesté, et je lui ai répondu que Sa Majesté ne recevait pas.

– Et par quel ordre?

– Par ordre de la reine.

– Ah! fit le roi.

Pendant ce temps, la reine avait décacheté la lettre et lu ces deux lignes:

«Vous êtes revenue hier de Paris et rentrée au château à huit heures du soir. Laurent vous a vue.»

Puis, toujours avec le même air de nonchalance, la reine avait décacheté une demi-douzaine de billets, de lettres et de placets, qui gisaient épars sur un édredon.

– Eh bien! fit-elle en relevant la tête vers le roi.

– Merci, madame, dit celui-ci à la première femme de chambre.

Mme de Misery s'éloigna.

– Pardon, sire, dit la reine, éclairez-moi sur un point.

– Lequel, madame?

– Est-ce que je suis ou ne suis plus libre de voir M. de Provence?

– Oh! parfaitement libre, madame; mais…

– Mais son esprit me fatigue, que voulez-vous? d'ailleurs, il ne m'aime pas; il est vrai que je le lui rends bien. J'attendais sa mauvaise visite et me suis mise au lit à huit heures, afin de ne pas recevoir cette visite. Qu'avez-vous donc, sire?

– Rien, rien.

– On dirait que vous doutez.

– Mais…

– Mais quoi?

– Mais je vous croyais hier à Paris.

– À quelle heure?

– À l'heure à laquelle vous prétendez que vous vous êtes couchée.

– Sans doute, j'y suis allée à Paris. Eh bien! est-ce que l'on ne revient pas de Paris?

– Si fait. Le tout dépend de l'heure à laquelle on en revient.

– Ah! ah! vous voulez savoir l'heure juste à laquelle je suis revenue de Paris, alors?

– Mais, oui.

– Rien de plus facile, sire.

La reine appela:

– Madame de Misery!

La femme de chambre reparut.

– Quelle heure était-il quand je revins de Paris, hier, madame de Misery? demanda la reine.

– À peu près huit heures, Votre Majesté.

– Je ne crois pas, dit le roi; vous devez vous tromper, madame de Misery; informez-vous.

La femme de chambre, droite et impassible, se tourna vers la porte.

– Madame Duval! dit-elle.

– Madame! répliqua une voix.

– À quelle heure Sa Majesté est-elle rentrée de Paris hier soir?

– Il pouvait être huit heures, madame, répliqua la deuxième femme de chambre.

– Vous devez vous tromper, madame Duval, dit Mme de Misery.

Mme Duval se pencha vers la fenêtre de l'antichambre et cria:

– Laurent!

– Qu'est-ce que Laurent? demanda le roi.

– C'est le concierge de la porte par laquelle Sa Majesté est rentrée hier, dit Mme de Misery.

– Laurent! cria Mme Duval, à quelle heure Sa Majesté la reine est-elle rentrée hier?

– Vers huit heures, répliqua le concierge du bas de la terrasse.

Le roi baissa la tête.

Mme de Misery congédia Mme Duval, qui congédia Laurent.

Les deux époux demeurèrent seuls.

Louis XVI était honteux et faisait tous ses efforts pour dissimuler cette honte.

Mais la reine, au lieu de triompher de la victoire qu'elle venait de remporter, lui dit froidement:

– Eh bien! sire, voyons, que désirez-vous savoir encore?

– Oh! rien, s'écria le roi en pressant les mains de sa femme, rien!

– Cependant…

– Pardonnez-moi, madame; je ne sais trop ce qui m'était passé par la tête. Voyez ma joie; elle est aussi grande que mon repentir. Vous ne m'en voulez point, n'est-ce pas? Ne boudez plus: foi de gentilhomme! j'en serais au désespoir.

La reine retira sa main de celle du roi.

– Eh bien! que faites-vous, madame? demanda Louis.

– Sire, répondit Marie-Antoinette, une reine de France ne ment pas!

– Eh bien? demanda le roi étonné.

– Eh bien, sire, moi, je viens de mentir.

– Que voulez-vous dire?

– Je veux dire que je ne suis pas rentrée hier à huit heures du soir!

Le roi recula surpris.

– Je veux dire, continua la reine avec le même sang-froid, que je suis rentrée ce matin à six heures seulement.

– Madame!

– Et que sans M. le comte d'Artois, qui m'a offert un asile et logée par pitié dans une maison à lui, je restais à la porte comme une mendiante.

– Ah! vous n'étiez pas rentrée, dit le roi d'un air sombre; alors, j'avais donc raison?

– Sire, vous tirez, je vous en demande pardon, de ce que je viens de dire une solution d'arithméticien, mais non une conclusion de galant homme.

– En quoi, madame?

– En ceci que, pour vous assurer si je rentrais tôt ou tard, vous n'aviez besoin ni de fermer votre porte, ni de donner vos consignes, mais seulement de venir me trouver et de me demander: «À quelle heure êtes-vous rentrée, madame?»

– Oh! fit le roi.

– Il ne vous est plus permis de douter, monsieur; vos espions avaient été trompés ou gagnés, vos portes forcées ou ouvertes, votre appréhension combattue, vos soupçons dissipés. Je vous voyais honteux d'avoir usé de violence envers une femme dans son droit. Je pouvais continuer à jouir de ma victoire. Mais je trouve vos procédés honteux pour un roi, malséants pour un gentilhomme, et je ne veux pas me refuser la satisfaction de vous le dire.

Le roi épousseta son jabot en homme qui médite une réplique.

– Oh! vous avez beau faire, monsieur, dit la reine en secouant la tête, vous n'arriverez pas à excuser votre conduite envers moi.

– Au contraire, madame, j'y arriverai facilement, répondit le roi. Est-ce que, dans le château, par exemple, une seule personne se doutait que vous ne fussiez pas rentrée? Eh bien! si chacun vous savait rentrée, personne n'a pu prendre pour vous ma consigne de la fermeture des portes. Qu'on l'ait attribuée aux dissipations de M. le comte d'Artois ou de tout autre, vous comprenez bien que je ne m'en inquiète pas.

 

– Après, sire? interrompit la reine.

– Eh bien! je me résume, et je dis: si j'ai sauvé envers vous les apparences, madame, j'ai raison, et je vous dis: vous avez tort, vous qui n'en avez pas fait autant envers moi; et si j'ai voulu tout simplement vous donner une secrète leçon, si la leçon vous profite, ce que je crois, d'après l'irritation que vous me témoignez, eh bien! j'ai raison encore, et je ne reviens sur rien de ce que j'ai fait.

La reine avait écouté la réponse de son auguste époux en se calmant peu à peu; non pas qu'elle fût moins irritée, mais elle voulait garder toutes ses forces pour la lutte qui, dans son opinion, au lieu d'être terminée, commençait à peine.

– Fort bien! dit-elle. Ainsi, vous ne vous excusez pas d'avoir fait languir à la porte de sa demeure, comme vous eussiez pu faire de la première venue, la fille de Marie-Thérèse, votre femme, la mère de vos enfants? Non, c'est à votre avis une plaisanterie toute royale, pleine de sel attique, dont la moralité d'ailleurs double la valeur. Ainsi, à vos yeux, ce n'est rien qu'une chose toute naturelle que d'avoir forcé la reine de France à passer la nuit dans la petite maison où le comte d'Artois reçoit les demoiselles de l'Opéra et les femmes galantes de votre cour? Ah! ce n'est rien, non, un roi plane au-dessus de toutes ces misères, un roi philosophe surtout. Et vous êtes philosophe, vous sire! Notez bien qu'en ceci M. d'Artois a joué le beau rôle. Notez qu'il m'a rendu un service signalé. Notez que, pour cette fois, j'ai eu à remercier le Ciel que mon beau-frère fût un homme dissipé, puisque sa dissipation a servi de manteau à ma honte, puisque ses vices ont sauvegardé mon honneur.

Le roi rougit et se remua bruyamment sur son fauteuil.

– Oh! dit la reine, avec un rire amer, je sais bien que vous êtes un roi moral, sire! Mais avez-vous songé à quel résultat votre morale arrive? Nul n'a su que je n'étais pas rentrée, dites-vous? Et vous-même m'avez crue ici! Direz-vous que M. de Provence, votre instigateur, l'a cru, lui? Direz-vous que M. d'Artois l'a cru? Direz-vous que mes femmes, qui, par mon ordre, vous ont menti ce matin, l'ont cru? Direz-vous que Laurent, acheté par M. le comte d'Artois et moi, l'a cru? Allez, le roi a toujours raison, mais parfois la reine peut avoir raison aussi. Prenons cette habitude, voulez-vous, sire? vous de m'envoyer espions et gardes suisses, moi d'acheter vos suisses et vos espions, et je vous le dis, avant un mois, car vous me connaissez et vous savez que je ne me contiendrai pas, eh bien! avant un mois la majesté du trône et la dignité du mariage, nous additionnerons tout cela ensemble un matin, comme aujourd'hui, par exemple, et nous verrons ce que cela nous coûtera à tous deux.

Il était évident que ces paroles avaient fait un grand effet sur celui à qui elles étaient adressées.

– Vous savez, dit le roi d'une voix altérée, vous savez que je suis sincère, et que j'avoue toujours mes torts. Voulez-vous me prouver, madame, que vous avez raison de partir de Versailles en traîneau, avec des gentilshommes à vous? Folle troupe qui vous compromet dans les graves circonstances où nous vivons! Voulez-vous me prouver que vous avez raison de disparaître avec eux dans Paris, comme des masques dans un bal, et de ne plus reparaître que dans la nuit, scandaleusement tard, tandis que ma lampe s'est épuisée au travail et que tout le monde dort? Vous avez parlé de la dignité du mariage, de la majesté du trône et de votre qualité de mère. Est-ce d'une épouse, est-ce d'une reine, est-ce d'une mère ce que vous avez fait là?

– Je vais vous répondre en deux mots, monsieur, et, vous le dirai-je d'avance, je vais répondre encore plus dédaigneusement que je n'ai fait jusqu'à présent, car il me semble, en vérité, que certaines parties de votre accusation ne méritent que mon dédain. J'ai quitté Versailles en traîneau pour arriver plus vite à Paris; je suis sortie avec Mlle de Taverney, dont, Dieu merci! la réputation est une des plus pures de la cour, et je suis allée à Paris vérifier de moi-même que le roi de France, ce père de la grande famille, ce roi philosophe, ce soutien moral de toutes les consciences, lui qui a nourri les pauvres étrangers, réchauffé les mendiants et mérité l'amour du peuple par sa bienfaisance; j'ai voulu vérifier, dis-je, que le roi laissait mourir de faim, croupir dans l'oubli, exposé à toutes les attaques du vice et de la misère, quelqu'un de sa famille, en tant que roi: un des descendants enfin d'un des rois qui ont gouverné la France.

– Moi! fit le roi surpris.

– J'ai monté, continua la reine, dans une espèce de grenier, et j'ai vu, sans feu, sans lumière, sans argent, la petite-fille d'un grand prince; j'ai donné cent louis à cette victime de l'oubli, de la négligence royale. Et comme je m'étais attardée, en réfléchissant sur le néant de nos grandeurs, car moi aussi parfois je suis philosophe, comme la gelée était rude, et que par la gelée les chevaux marchent mal, et surtout les chevaux de fiacre…

– Les chevaux de fiacre! s'écria le roi. Vous êtes revenue en fiacre?

– Oui, sire, dans le n° 107.

– Oh! oh! murmura le roi en balançant sa jambe droite croisée sur la gauche, ce qui était chez lui le symptôme d'une vive impatience. En fiacre!

– Oui, et trop heureuse encore d'avoir trouvé ce fiacre, répliqua la reine.

– Madame! interrompit le roi, vous avez bien agi; vous avez toujours de nobles aspirations, écloses trop légèrement peut-être; mais la faute en est à cette chaleur de générosité qui vous distingue.

– Merci, sire, répondit la reine d'un ton railleur.

– Songez bien, continua le roi, que je ne vous ai soupçonnée de rien qui ne fût parfaitement droit et honnête; la démarche seule, et l'aventureuse allure de la reine, m'ont déplu; vous avez fait le bien comme toujours; mais en faisant le bien aux autres, vous avez trouvé le moyen de vous faire du mal à vous. Voilà ce que je vous reproche. Maintenant, j'ai à réparer quelque oubli, j'ai à veiller au sort d'une famille de rois. Je suis prêt: dénoncez-moi ces infortunes, et mes bienfaits ne se feront pas attendre.

– Le nom de Valois, sire, est assez illustre, je pense, pour que vous l'ayez à présent à la mémoire.

– Ah! s'écria Louis XVI avec un bruyant éclat de rire, je sais maintenant ce qui vous occupe. La petite Valois, n'est-ce pas, une comtesse de… de… Attendez donc…

– De La Motte.

– Précisément, de La Motte; son mari est gendarme?

– Oui, sire.

– Et la femme est une intrigante. Oh! ne vous fâchez pas, elle remue ciel et terre; elle accable les ministres; elle harcèle mes tantes; elle m'écrase moi-même de suppliques, de placets, de preuves généalogiques.

– Eh! sire, cela prouve qu'elle a jusqu'ici réclamé inutilement, voilà tout.

– Je ne dis pas non!

– Est-elle ou non Valois?

– Oh! je crois qu'elle l'est!

– Eh bien! une pension. Une pension honorable pour elle, un régiment pour son mari, un état enfin pour des rejetons de souche royale.

– Oh! doucement, doucement, madame. Diable! comme vous y allez. La petite Valois m'arrachera toujours bien assez de plumes sans que vous vous mettiez à l'aider; elle a bon bec, la petite Valois, allez!

– Oh! je ne crains pas pour vous, sire; vos plumes tiennent fort.

– Une pension honorable, Dieu merci! Comme vous y allez, madame! Savez-vous quelle saignée terrible cet hiver a faite à ma cassette? Un régiment à ce petit gendarme qui a fait la spéculation d'épouser une Valois! Eh! je n'en ai plus de régiment à donner, madame, même à ceux qui les paient et qui les méritent. Un état digne des rois dont ils descendent, à ces mendiants! Allons donc! quand nous autres rois nous n'avons plus même un état digne des riches particuliers! M. le duc d'Orléans a envoyé ses chevaux et ses meutes en Angleterre pour les faire vendre, et supprimé les deux tiers de sa maison. J'ai supprimé ma louveterie, moi. M. de Saint-Germain m'a fait réformer ma maison militaire. Nous vivons de privations, tous, grands et petits, ma chère.

– Mais cependant, sire, des Valois ne peuvent mourir de faim!

– Ne m'avez-vous pas dit que vous aviez donné cent louis?

– La belle aumône!

– C'est royal.

– Donnez-en autant, alors.

– Je m'en garderai bien. Ce que vous avez donné suffit pour nous deux.

– Alors, une petite pension.

– Pas du tout; rien de fixe. Ces gens-là vous soutireront assez pour eux-mêmes; ils sont de la famille des rongeurs. Quand j'aurai envie de donner, eh bien! je donnerai une somme sans précédents, sans obligations pour l'avenir. En un mot, je donnerai quand j'aurai trop d'argent. Cette petite Valois, mais, en vérité, je ne puis vous conter tout ce que je sais sur elle. Votre bon cœur est pris au piège, ma chère Antoinette. J'en demande pardon à votre bon cœur.

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