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полная версияLe Collier de la Reine, Tome I

Александр Дюма
Le Collier de la Reine, Tome I

Certes, c'était un curieux spectacle que celui de cette cérémonie médicale, et l'on ne s'étonnera pas qu'il excitât la curiosité parisienne à un si haut degré.

Vingt ou trente malades rangés autour de cette cuve; un valet muet comme les assistants et les enlaçant d'une corde comme Laocoon et ses fils, des replis de leurs serpents; puis cet homme lui-même se retirant d'un pas furtif, après avoir désigné aux malades les tringles de fer qui, s'emboîtant à certains trous de la cuve, devaient servir de conducteurs plus immédiatement locaux à l'action salutaire du fluide mesmérien.

Et d'abord, dès que la séance était ouverte, une certaine chaleur douce et pénétrante commençait à circuler dans le salon; elle amollissait les fibres un peu tendues des malades; elle montait, par degrés, du parquet au plafond et bientôt se chargeait de parfums délicats, sous la vapeur desquels se penchaient, alourdis, les cerveaux les plus rebelles.

Alors on voyait les malades s'abandonner à l'impression toute voluptueuse de cette atmosphère, lorsque soudain une musique suave et vibrante, exécutée par des instruments et des musiciens invisibles, se perdait comme une douce flamme au milieu de ces parfums et de cette chaleur.

Pure comme le cristal au bord duquel elle prenait naissance, cette musique frappait les nerfs avec une puissance irrésistible. On eût dit un de ces bruits mystérieux et inconnus de la nature qui étonnent et charment les animaux eux-mêmes, une plainte du vent dans les spirales sonores des rochers.

Bientôt, aux sons de l'harmonica se joignaient des voix harmonieuses, groupées comme une masse de fleurs dont bientôt les notes éparpillées comme des feuilles allaient sur la tête des assistants.

Sur tous les visages que la surprise avait animés d'abord, se peignait peu à peu la satisfaction matérielle, caressée par tous ses endroits sensibles. L'âme cédait; elle sortait de ce refuge où elle se cache quand les maux du corps l'assiègent, et se répandant libre et joyeuse dans toute l'organisation, elle domptait la matière et se transformait.

C'était le moment où chacun des malades avait pris dans ses doigts une tringle de fer assujettie au couvercle du baquet et dirigeait cette tringle sur sa poitrine, son cœur ou sa tête, siège plus spécial de la maladie.

Qu'on se figure alors la béatitude remplaçant sur tous les visages la souffrance et l'anxiété, qu'on se représente l'assoupissement égoïste de ces satisfactions qui absorbent, le silence, entrecoupé de soupirs, qui pèse sur toute cette assemblée, et l'on aura l'idée la plus exacte possible de la scène que nous venons d'esquisser à deux tiers de siècle du jour où elle avait lieu.

Maintenant, quelques mots plus particuliers sur les acteurs.

Et d'abord les acteurs se divisaient en deux classes:

Les uns, malades, peu soucieux de ce qu'on appelle le respect humain, limite fort vénérée des gens de condition médiocre, mais toujours franchie par les très grands ou les très petits; les uns, disons-nous, véritables acteurs, n'étaient venus dans ce salon que pour être guéris, et ils essayaient de tout leur cœur d'arriver à ce but.

Les autres, sceptiques ou simples curieux, ne souffrant d'aucune maladie, avaient pénétré dans la maison de Mesmer comme on entre dans un théâtre, soit qu'ils eussent voulu se rendre compte de l'effet éprouvé quand on entourait le baquet enchanté, soit que, simples spectateurs, ils eussent voulu simplement étudier ce nouveau système physique, et ne s'occupassent que de regarder les malades et même ceux qui partageaient la cure en se portant bien.

Parmi les premiers, fougueux adeptes de Mesmer, liés à sa doctrine par la reconnaissance peut-être, on distinguait une jeune femme d'une belle taille, d'une belle figure, d'une mise une peu extravagante, qui, soumise à l'action du fluide et s'appliquant à elle-même avec la tringle les plus fortes doses sur la tête et sur l'épigastre, commençait à rouler ses beaux yeux comme si tout languissait en elle, tandis que ses mains frissonnaient sous ces premières titillations nerveuses qui indiquent l'envahissement du fluide magnétique.

Lorsque sa tête se renversait en arrière sur le dossier du fauteuil, les assistants pouvaient regarder tout à leur aise ce front pâle, ces lèvres convulsives, et ce beau cou marbré peu à peu par le flux et le reflux plus rapide du sang.

Alors, parmi les assistants, dont beaucoup tenaient avec étonnement les yeux fixés sur cette jeune femme, deux ou trois têtes, s'inclinant l'une vers l'autre, se communiquaient une idée étrange sans doute qui redoublait l'attention réciproque de ces curieux.

Au nombre de ces curieux était Mme de La Motte, qui, sans crainte d'être reconnue, ou s'inquiétant peu de l'être, tenait à la main le masque de satin qu'elle avait posé sur son visage pour traverser la foule.

Au reste, par la façon dont elle s'était placée, elle échappait à peu près à tous les regards.

Elle se tenait près de la porte, adossée à un pilastre, voilée par une draperie, et de là elle voyait tout sans être vue.

Mais, parmi tout ce qu'elle voyait, la chose qui lui paraissait la plus digne d'attention était sans doute la figure de cette jeune femme électrisée par le fluide mesmérien.

En effet, cette figure l'avait tellement frappée, que depuis plusieurs minutes elle restait à sa place, fixée par une irrésistible avidité de voir et de savoir.

– Oh! murmurait-elle sans détacher les yeux de la belle malade, c'est à n'en pas douter la dame de charité qui est venue chez moi l'autre soir, et qui est la cause singulière de tout l'intérêt que m'a témoigné Mgr de Rohan.

Et, bien convaincue qu'elle ne se trompait pas, désireuse du hasard qui faisait pour elle ce que ses recherches n'avaient pu faire, elle s'approcha.

Mais en ce moment la jeune convulsionnaire ferma ses yeux, crispa sa bouche, et battit faiblement l'air avec ses deux mains.

Avec ses deux mains qui, il faut bien le dire, n'étaient pas tout à fait ces mains fines et effilées, ces mains d'une blancheur de cire que Mme de La Motte avait admirées chez elles quelques jours auparavant.

La contagion de la crise fut électrique chez la plupart des malades, le cerveau s'était saturé de bruits et de parfums. Toute l'irritation nerveuse était sollicitée. Bientôt, hommes et femmes, entraînés par l'exemple de leur jeune compagne, se mirent à pousser des soupirs, des murmures, des cris, et, remuant bras, jambes et têtes, entrèrent franchement et irrésistiblement dans cet accès auquel le maître avait donné le nom de crise.

En ce moment, un homme parut dans la salle, sans que nul l'y eût vu entrer, sans que personne pût dire comment il y était entré.

Sortait-il de la cuve comme Phoebus? Apollon des eaux, était-il la vapeur embaumée et harmonieuse de la salle qui se condensait? Toujours est-il qu'il se trouva là subitement, et que son habit lilas, doux et frais à l'œil, sa belle figure pâle, intelligente et sereine, ne démentirent pas le caractère un peu divin de cette apparition.

Il tenait à la main une longue baguette, appuyée ou plutôt trempée pour ainsi dire au fameux baquet.

Il fit un signe: les portes s'ouvrirent, vingt robustes valets accoururent, et, saisissant avec une rapide adresse chacun des malades, qui commençaient à perdre l'équilibre sur leurs fauteuils, ils les transportèrent en moins d'une minute dans la salle voisine.

Au moment où s'accomplissait cette opération, devenue intéressante par le paroxysme de béatitude furieuse auquel s'abandonnait la jeune convulsionnaire, Mme de La Motte, qui s'était avancée avec les curieux jusqu'à cette nouvelle salle destinée aux malades, entendit un homme s'écrier:

– Mais c'est elle, c'est bien elle!

Mme de La Motte se préparait à demander à cet homme:

– Qui, elle?

Tout à coup, deux dames entrèrent au fond de la première salle, appuyées l'une sur l'autre et suivies, à une certaine distance, d'un homme qui avait tout l'extérieur d'un valet de confiance, bien qu'il fût déguisé sous un habit bourgeois.

La tournure de ces deux femmes, de l'une d'elles surtout, frappa si bien la comtesse, qu'elle fit un pas vers elles.

En ce moment un grand cri, parti de la salle et échappé aux lèvres de la convulsionnaire, entraîna tout le monde de son côté.

Aussitôt l'homme qui avait déjà dit: «C'est elle!» et qui se trouvait près de Mme de La Motte, s'écria d'une voix sourde et mystérieuse:

– Mais, messieurs, regardez donc, c'est la reine.

À ce mot, Jeanne tressaillit.

– La reine! s'écrièrent à la fois plusieurs voix effrayées et surprises.

– La reine chez Mesmer!

– La reine dans une crise! répétèrent d'autres voix.

– Oh! disait l'un, c'est impossible.

– Regardez, répondit l'inconnu avec tranquillité; connaissez-vous la reine, oui ou non?

– En effet, murmurèrent la plupart des assistants, la ressemblance est incroyable.

Mme de La Motte avait un masque comme toutes les femmes qui, en sortant de chez Mesmer, devaient se rendre au bal de l'Opéra. Elle pouvait donc questionner sans risque.

– Monsieur, demanda-t-elle à l'homme aux exclamations, lequel était un corps volumineux, un visage plein et coloré avec des yeux étincelants et singulièrement observateurs, ne dites-vous pas que la reine est ici?

– Oh! madame, c'est à n'en pas douter, répondit celui-ci.

– Et où cela?

– Mais cette jeune femme que vous apercevez là-bas, sur des coussins violets, dans une crise si ardente qu'elle ne peut modérer ses transports, c'est la reine.

– Mais sur quoi fondez-vous votre idée, monsieur, que la reine est cette femme?

– Mais tout simplement sur ceci, madame, que cette femme est la reine, répliqua imperturbablement le personnage accusateur.

Et il quitta son interlocutrice pour aller appuyer et propager la nouvelle dans les groupes.

 

Jeanne se détourna du spectacle presque révoltant que donnait l'épileptique. Mais à peine eut-elle fait quelques pas vers la porte, qu'elle se trouva presque face à face avec les deux dames qui, en attendant qu'elles passassent aux convulsionnaires, regardaient, non sans un vif intérêt, le baquet, les tringles et le couvercle.

À peine Jeanne eût-elle vu le visage de la plus âgée des deux dames, qu'elle poussa un cri à son tour.

– Qu'y a-t-il? demanda celle-ci.

Jeanne arracha vivement son masque.

– Me reconnaissez-vous? dit-elle.

La dame fit et presque aussitôt réprima un mouvement.

– Non, madame, fit-elle avec un certain trouble.

– Eh bien! moi, je vous reconnais, et je vais vous en donner une preuve.

Les deux dames, à cette interpellation, se serrèrent l'une contre l'autre avec effroi.

Jeanne tira de sa poche la boîte au portrait.

– Vous avez oublié cela chez moi, dit-elle.

– Mais quand cela serait, madame, demanda l'aînée, pourquoi tant d'émotion?

– Je suis émue du danger que court ici Votre Majesté.

– Expliquez-vous.

– Oh! pas avant que vous ayez mis ce masque, madame.

Et elle tendit son loup à la reine, qui hésitait, se croyant suffisamment cachée sous sa coiffe.

– De grâce! pas un instant à perdre, continua Jeanne.

– Faites, faites, madame, dit tout bas la seconde femme à la reine.

La reine mit machinalement le masque sur son visage.

– Et maintenant, venez, venez, dit Jeanne.

Et elle entraîna les deux femmes si vivement, qu'elles ne s'arrêtèrent qu'à la porte de la rue, où elles se trouvèrent au bout de quelques secondes.

– Mais enfin, dit la reine en respirant.

– Votre Majesté n'a été vue de personne?

– Je ne crois pas.

– Tant mieux.

– Mais enfin, m'expliquerez-vous…

– Que, pour le moment, Votre Majesté en croie sa fidèle servante quand celle-ci vient de lui dire qu'elle court le plus grand danger.

– Encore, ce danger, quel est-il?

– J'aurai l'honneur de tout dire à Sa Majesté, si elle daigne un jour m'accorder une heure d'audience. Mais la chose est longue; Sa Majesté peut être connue, remarquée.

Et comme elle voyait que la reine manifestait quelque impatience:

– Oh! madame, dit-elle à la princesse de Lamballe, joignez-vous à moi, je vous en supplie, pour obtenir que Sa Majesté parte, et parte à l'instant même.

La princesse fit un geste suppliant.

– Allons, dit la reine, puisque vous le voulez.

Puis, se retournant vers Mme de La Motte.

– Vous m'avez demandé une audience? dit-elle.

– J'aspire à l'honneur de donner à Votre Majesté l'explication de ma conduite.

– Eh bien! rapportez-moi cette boîte et demandez le concierge Laurent; il sera prévenu.

Et, se retournant vers la rue:

– Kommen Sie da, Weber4! cria-t-elle en allemand.

Un carrosse s'approcha avec rapidité; les deux princesses s'y élancèrent.

Mme de La Motte resta sur la porte jusqu'à ce qu'elle l'eût perdu de vue.

– Oh! dit-elle tout bas, j'ai bien fait de faire ce que j'ai fait; mais pour la suite… réfléchissons.

Chapitre XVIII
Mademoiselle Oliva

Pendant ce temps, l'homme qui avait signalé la prétendue reine aux regards des assistants frappait sur l'épaule d'un des spectateurs à l'œil avide, à l'habit râpé.

– Pour vous qui êtes journaliste, dit-il, le beau sujet d'article!

– Comment cela?

– En voulez-vous le sommaire?

– Volontiers.

– Le voici: «Du danger qu'il y a de naître sujet d'un pays dont le roi est gouverné par la reine, laquelle reine aime les crises.»

Le gazetier se mit à rire.

– Et la Bastille? dit-il.

– Allons donc! Est-ce qu'il n'y a pas les anagrammes, à l'aide desquelles on évite tous les censeurs royaux? Je vous demande un peu si jamais un censeur vous interdira de raconter l'histoire du prince Silou et de la princesse Etteniotna, souveraine de Narfec? Hein! qu'en dites-vous?

– Oh! oui, s'écria le gazetier enflammé, l'idée est admirable.

– Et je vous prie de croire qu'un chapitre intitulé: Les crises de la princesse Etteniotna chez le fakir Remsem obtiendrait un joli succès dans les salons.

– Je le crois comme vous.

– Allez donc, et rédigez-nous cela de votre meilleure encre.

Le gazetier serra la main de l'inconnu.

– Vous enverrai-je quelques numéros? dit-il; je le ferai avec bien du plaisir, s'il vous plaît de me dire votre nom.

– Certes, oui! L'idée me ravit, et exécutée par vous, elle gagnera cent pour cent. À combien tirez-vous ordinairement vos petits pamphlets?

– Deux mille.

– Rendez-moi donc un service?

– Volontiers.

– Prenez ces cinquante louis et faites tirer à six mille.

– Comment! monsieur; oh! mais vous me comblez… Que je sache au moins le nom d'un si généreux protecteur des lettres.

– Je vous le dirai en faisant prendre chez vous un millier d'exemplaires à deux livres la pièce, dans huit jours, n'est-ce pas?

– J'y travaillerai jour et nuit, monsieur.

– Et que ce soit divertissant.

– À faire rire aux larmes tout Paris, excepté une personne.

– Qui pleurera jusqu'au sang, n'est-ce pas?

– Oh! monsieur, que vous avez d'esprit!

– Vous êtes bien bon. À propos, datez la publication de Londres.

– Comme toujours.

– Monsieur, je suis bien votre serviteur.

Et le gros inconnu congédia le folliculaire, lequel, ses cinquante louis en poche, s'enfuit léger comme un oiseau de mauvais augure.

L'inconnu demeuré seul, ou plutôt sans compagnon, regarda encore, dans la salle des crises, la jeune femme dont l'extase avait fait place à une prostration absolue, et dont une femme de chambre affectée au service des dames en travail de crise abaissait chastement les jupes un peu indiscrètes.

Il remarqua dans cette délicate beauté des traits fins et voluptueux, la grâce noble de ce sommeil abandonné; puis, revenant sur ses pas:

«Décidément, dit-il, la ressemblance est effrayante. Dieu, qui l'a faite, avait ses desseins; il a condamné d'avance celle de là-bas, à qui celle-ci ressemble.»

Au moment où il achevait de formuler cette pensée menaçante, la jeune femme se souleva lentement du milieu des coussins, et, s'aidant du bras d'un voisin réveillé déjà de l'extase, elle s'occupa de remettre un peu d'ordre dans sa toilette fort compromise.

Elle rougit un peu de voir l'attention que les assistants lui donnaient, répondit avec une politesse coquette aux questions graves et avenantes à la fois de Mesmer; puis, étirant ses bras ronds et ses jolies jambes comme une chatte qui sort du sommeil, elle traversa les trois salons, récoltant, sans en perdre un seul, tous les regards, soit railleurs, soit convoiteurs, soit effarés, que lui envoyaient les assistants.

Mais ce qui la surprit au point de la faire sourire, c'est qu'en passant devant un groupe chuchotant dans un coin du salon, elle essuya, au lieu d'œillades mutines et de propos galants, une bordée de révérences si respectueuses que nul courtisan français n'en eût trouvé de plus guindées et de plus sévères pour saluer sa reine.

Et réellement ce groupe stupéfait et révérencieux avait été composé à la hâte par cet inconnu infatigable qui, caché derrière eux, leur disait à demi voix:

– N'importe, messieurs, n'importe, ce n'est pas moins la reine de France; saluons, saluons bas.

La petite personne, objet de tant de respect, franchit avec une sorte d'inquiétude le dernier vestibule et arriva dans la cour.

Là ses yeux fatigués cherchèrent un fiacre ou une chaise à porteurs: elle ne trouva ni l'un ni l'autre; seulement, au bout d'une minute d'indécision à peu près, lorsqu'elle posait déjà son pied mignon sur le pavé, un grand laquais s'approcha d'elle.

– La voiture de madame! dit-il.

– Mais, répliqua la jeune femme, je n'ai pas de voiture.

– Madame est venue dans un fiacre?

– Oui.

– De la rue Dauphine?

– Oui.

– Je vais ramener madame chez elle.

– Soit, ramenez-moi, dit la petite personne d'un air fort délibéré, sans avoir conservé plus d'une minute l'espèce d'inquiétude que l'imprévu de cette position eût causée à toute autre femme.

Le laquais fit un signe auquel répondit aussitôt un carrosse de bonne apparence, qui vint recevoir la dame au péristyle.

Le laquais releva le marchepied, cria au cocher:

– Rue Dauphine!

Les chevaux partirent avec rapidité; arrivés au Pont-Neuf, la petite dame, qui goûtait fort cette façon d'aller, comme dit La Fontaine, regrettait de ne pas loger au Jardin des Plantes.

La voiture s'arrêta. Le marchepied s'abaissa; déjà le laquais bien appris tendait la main pour recevoir le passe-partout à l'aide duquel rentraient chez eux les habitants des trente mille maisons de Paris qui n'étaient pas des hôtels et qui n'avaient ni concierge ni suisse.

Ce laquais ouvrit donc la porte pour ménager les doigts de la petite dame; puis, au moment où celle-ci pénétrait dans l'allée sombre, il salua et referma la porte.

Le carrosse se remit à rouler et disparut.

– En vérité! s'écria la jeune femme, voilà une agréable aventure. C'est bien galant de la part de M. de Mesmer. Oh! que je suis fatiguée. Il aura prévu cela. C'est un bien grand médecin.

En disant ces mots, elle était arrivée au deuxième étage de la maison, sur un palier commandé par deux portes.

Aussitôt qu'elle eut frappé, une vieille lui ouvrit.

– Oh! bonsoir, mère; le souper est-il prêt?

– Oui, et même il refroidit.

– Est-il là, lui?

– Non, pas encore; mais le monsieur y est.

– Quel monsieur?

– Celui auquel vous avez besoin de parler ce soir.

– Moi!

– Oui, vous.

Ce colloque avait lieu dans une espèce de petite antichambre vitrée, qui séparait le palier d'une grande chambre donnant sur la rue.

Au travers du vitrage, on voyait distinctement la lampe qui éclairait cette chambre, dont l'aspect était, sinon satisfaisant, du moins supportable.

De vieux rideaux, d'une soie jaune, que le temps avait veinés et blanchis par places, quelques chaises de velours d'Utrecht vert à côtes, et un grand chiffonnier à douze tiroirs, en marqueterie, un vieux sofa jaune, telles étaient les magnificences de l'appartement.

Elle ne reconnut pas cet homme, mais nos lecteurs le reconnaîtront bien; c'était celui qui avait ameuté les curieux sur le passage de la prétendue reine, l'homme aux cinquante louis donnés pour le pamphlet.

Un cartel meublait la cheminée, flanqué de deux potiches bleu-Japon visiblement fêlées.

La jeune femme ouvrit brusquement la porte vitrée et vint jusqu'au sofa, sur lequel elle vit assis fort tranquillement un homme d'une bonne mine, gras plutôt que maigre, qui jouait d'une fort belle main blanche avec un très riche jabot de dentelle.

La jeune femme n'eut pas le temps de commencer l'entretien.

Ce singulier personnage fit une espèce de salut, moitié mouvement, moitié inclination, et attachant sur son hôtesse un regard brillant et plein de bienveillance:

– Je sais, dit-il, ce que vous allez me demander; mais je vous répondrai mieux en vous questionnant moi-même. Vous êtes Mlle Oliva?

– Oui, monsieur.

– Charmante femme très nerveuse et très éprise du système de M. Mesmer.

– J'arrive de chez lui.

– Fort bien! cela ne vous explique pas, à ce que me disent vos beaux yeux, pourquoi vous me trouvez sur votre sofa, et voilà ce que vous désirez plus particulièrement connaître?

– Vous avez deviné juste, monsieur.

– Voulez-vous me faire la grâce de vous asseoir; si vous restiez debout, je serais forcé de me lever aussi; alors nous ne causerions plus commodément.

– Vous pouvez vous flatter d'avoir des manières fort extraordinaires, répliqua la jeune femme que nous appellerons désormais Mlle Oliva, puisqu'elle daignait répondre à ce nom.

– Mademoiselle, je vous ai vue tout à l'heure chez M. Mesmer; je vous ai trouvée telle que je vous souhaitais.

– Monsieur!

– Oh! ne vous alarmez pas, mademoiselle; je ne vous dis pas que je vous ai trouvée charmante; non, cela vous ferait l'effet d'une déclaration d'amour, et telle n'est pas mon intention. Ne vous reculez pas, je vous prie, vous allez me forcer de crier comme un sourd.

 

– Que voulez-vous, alors? fit naïvement Oliva.

– Je sais, continua l'inconnu, que vous êtes habituée à vous entendre dire que vous êtes belle; moi, je le pense; d'ailleurs, j'ai autre chose à vous proposer.

– Monsieur, en vérité, vous me parlez sur un ton…

– Ne vous effarouchez donc pas avant de m'avoir entendu… Est-ce qu'il y a quelqu'un de caché, ici?

– Personne n'est caché, monsieur, mais enfin…

– Alors, si personne n'est caché, ne nous gênons pas pour parier… Que diriez-vous d'une petite association entre nous?

– Une association… Vous voyez bien…

– Voilà encore que vous confondez. Je ne vous dis pas liaison, je vous dis association. Je ne vous dis pas amour, je vous dis affaires.

– Quelle sorte d'affaires? demanda Oliva, dont la curiosité se trahissait par un véritable ébahissement.

– Qu'est-ce que vous faites toute la journée?

– Mais…

– Ne craignez point; je ne suis point pour vous blâmer; dites-moi ce qu'il vous plaira.

– Je ne fais rien, ou du moins je fais le moins possible.

– Vous êtes paresseuse.

– Oh!

– Très bien.

– Ah! vous dites très bien.

– Sans doute. Qu'est-ce que cela me fait, à moi, que vous soyez paresseuse? Aimez-vous à vous promener?

– Beaucoup.

– À courir les spectacles, les bals?

– Toujours.

– À bien vivre?

– Surtout.

– Si je vous donnais vingt-cinq louis par mois, me refuseriez-vous?

– Monsieur!

– Ma chère demoiselle Oliva, voilà que vous recommencez à douter. Il était pourtant convenu que vous ne vous effaroucheriez pas. J'ai dit vingt cinq louis comme j'aurais dit cinquante.

– J'aimerais mieux cinquante que vingt-cinq; mais ce que j'aime encore mieux que cinquante, c'est le droit de choisir mon amant.

– Morbleu! je vous ai déjà dit que je ne voulais pas être votre amant. Tenez-vous donc l'esprit en repos.

– Alors, morbleu! aussi, que voulez-vous que je fasse pour gagner vos cinquante louis?

– Avons-nous dit cinquante?

– Oui.

– Soit, cinquante. Vous me recevrez chez vous, vous ferez le meilleur visage possible, vous me donnerez le bras quand je le désirerai, vous m'attendrez où je vous dirai de m'attendre.

– Mais j'ai un amant, monsieur.

– Eh bien! après?

– Comment, après?

– Oui… chassez-le, pardieu!

– Oh! l'on ne chasse pas Beausire comme on veut.

– Voulez-vous que je vous y aide?

– Non, je l'aime.

– Oh!

– Un peu.

– C'est précisément trop.

– C'est comme cela.

– Alors, passe pour le Beausire.

– Vous êtes commode, monsieur.

– À charge de revanche; les conditions vous vont-elles?

– Elles me vont si vous me les avez dites au complet.

– Écoutez donc, ma chère, j'ai dit tout ce que j'ai à dire pour le moment.

– Parole d'honneur?

– Parole d'honneur! Mais, cependant, vous comprenez une chose…

– Laquelle?

– C'est que si, par hasard, j'avais besoin que vous fussiez réellement ma maîtresse…

– Ah! voyez-vous. On n'a jamais besoin de cela, monsieur.

– Mais de le paraître.

– Oh! pour cela, passe encore.

– Eh bien! c'est dit.

– Tope.

– Voici le premier mois d'avance.

Il lui tendit un rouleau de cinquante louis, sans même effleurer le bout de ses doigts. Et, comme elle hésitait, il le lui glissa dans la poche de sa robe, sans même frôler de la main cette hanche si ronde et si mobile que les fins gourmets de l'Espagne ne l'eussent pas dédaignée comme lui.

À peine l'or avait-il touché le fond de la poche, que deux coups secs, frappés à la porte de la rue, firent bondir Oliva vers la fenêtre.

– Bon Dieu! s'écria-t-elle, sauvez-vous vite, c'est lui.

– Lui. Qui?

– Beausire… mon amant… Remuez-vous donc, monsieur.

– Ah! ma foi! tant pis!

– Comment, tant pis! Mais il va vous mettre en pièces.

– Bah!

– Entendez-vous comme il frappe; il va enfoncer la porte.

– Faites-lui ouvrir. Que diable! aussi, pourquoi ne lui donnez-vous pas de passe-partout?

Et l'inconnu s'étendit sur le sofa en disant tout bas:

– Il faut que je voie ce drôle et que je le juge.

Les coups continuaient, ils s'entrecoupaient d'affreux jurons qui montaient bien plus haut que le deuxième étage.

– Allez, mère, allez ouvrir, dit Oliva toute furieuse. Et quant à vous, monsieur, tant pis s'il vous arrive un malheur.

– Comme vous dites, tant pis! répliqua l'impassible inconnu sans bouger du sofa.

Oliva écoutait, palpitante, sur le palier.

4«Venez ici, Weber».
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